Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/293

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même. Elle s’arrêta une minute pourtant, tout étonnée devant ce coin provincial de Paris dont le pittoresque avait, l’autre soir, ravi Claude Larcher. Il faisait un ciel voilé de fin d’hiver, bas et gris, sur lequel les branchages nus des arbres se détachaient tristement. Les cris de quelques enfants joueurs, en train de faire la petite guerre parmi les décombres, montaient dans le silence. La singularité de cette paisible ruelle, l’invraisemblance de la démarche que hasardait Suzanne, l’incertitude sur l’issue, tout se réunissait pour lui donner la somme la plus complète d’émotions dont elle fût capable. Elle dut sourire en se disant qu’elle n’avait, pour croire que le jeune homme fût chez lui, aucun motif, sinon qu’il attendait, sans l’espérer, une réponse à sa lettre dernière. Mais lorsque le concierge eut répondu à sa demande que M. René était à la maison, en lui indiquant la porte, elle retrouva tous ses esprits. Il y avait chez elle, comme chez toutes les femmes très positives, un fond d’homme d’action. Une donnée réelle et circonscrite d’événements la rendait résolue, et hardie à suivre son projet. Elle sonna. Des pas se firent entendre, très lourds, et le visage de Françoise lui apparut. Dans toute autre circonstance, elle aurait souri de l’ébahissement que l’Auvergnate ne chercha même pas à dissimuler.