Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/317

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sincèrement qu’il répondit par cette parole empreinte de la plus naïve fatuité :

— « Quel dommage qu’un si beau sentiment soit perdu ! »

— « Oui, » répéta Émilie en soupirant, « quel dommage ! »

L’accent avec lequel cette phrase fut prononcée, aurait suffi à éclairer le poète sur le revirement d’opinions qui s’était fait dans sa sœur à l’endroit de madame Moraines, s’il eût eu l’esprit assez libre pour penser à autre chose qu’à son amour. Mais cet amour l’absorbait tout entier. Pour lui, maintenant, les journées se répartissaient en deux groupes : celles où il devait se rencontrer avec Suzanne, celles qu’il devait passer sans la voir. Ces dernières, qui étaient de beaucoup les plus nombreuses, se distribuaient ainsi d’habitude : il restait au lit assez tard dans la matinée, à rêver. Il éprouvait cette diminution de l’énergie animale, conséquence inévitable des excès de l’amour sensuel. Il vaquait à sa toilette, avec cette minutie qui, à elle seule, révèle aux femmes d’expérience qu’un jeune homme est aimé. Cette toilette finie, il écrivait à sa madone. Elle lui avait imposé la douce tâche de lui tenir le journal de ses pensées. Quant à elle, il n’avait pas une ligne de son écriture. Elle lui avait dit : « Je suis si surveillée, et jamais seule ! » Et