Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/318

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il l’en plaignait, tout en se livrant à ce travail de correspondance détaillée auquel Suzanne l’assujettissait. Pourquoi ? Il ne se l’était jamais demandé. Cette posture de Narcisse sentimental en train de se mirer sans cesse dans son propre amour, convenait si bien à ce qu’il y avait en lui de profondément vaniteux, comme chez presque tous les écrivains. Suzanne n’avait pas assez réfléchi aux anomalies de la nature de l’homme de lettres pour avoir spéculé sur cette vanité. Le journal de René lui plaisait à relire, quand il n’était pas là, comme un souvenir enflammé des caresses données et reçues, simplement. Quand le poète avait ainsi fait sa prière du matin à sa divinité, l’heure du déjeuner sonnait déjà. Aussitôt après, il allait à la Bibliothèque de la rue de Richelieu prendre avec conscience des notes pour son Savonarole, auquel il s’était remis. Il y travaillait d’arrache-pied, durant la fin de l’après-midi, et jusque dans la soirée. Il y travaillait, — sans plus jamais ressentir, comme à l’époque du Sigisbée, cette plénitude de talent qui du cerveau passe dans la plume, si bien que les mots se pressent dans la mémoire, que les images se dessinent avec les contours et les couleurs de la réalité, que les personnages vont et viennent, que l’effort d’écrire enfin se transforme en une ivresse à la fois légère et puissante d’où nous