Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/353

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pris… » — « Et par qui ? » avait-elle demandé. Il lui avait nommé madame Moraines, dont Colette savait déjà la légende, grâce à ces causeries de cabinets particuliers où les viveurs racontent aux femmes du demi-monde toutes les anecdotes, vraies ou fausses, qu’ils ont apprises sur les femmes du monde. Quand elle avait fait allusion aux amours de René avec Suzanne, l’actrice, qui ne se possédait plus, avait parlé presque au hasard, pour diffamer Larcher auprès de son ami. Voyant l’effet que produisait sa phrase sur ce dernier, elle insista. Faire du mal à celui qu’elle tenait là et dont elle voyait les traits s’altérer de douleur, c’était assouvir un peu sa haine contre l’autre, puisqu’elle savait combien le poète était cher à Claude.

— « Claude ne vous a pas parlé ainsi ! » s’écria René hors de lui, « Et s’il était là, il vous défendrait de calomnier une femme qu’il sait digne de tous vos respects. »

— « De tous mes respects ! » reprit Colette en riant plus haut encore et plus nerveusement. « Dites donc, est-ce que vous me prenez pour une autre, mon petit Vincy ? Parce qu’elle a un mari pour cacher son infamie, et manger avec elle l’argent du vieux, n’est-ce pas ? … Tous mes respects ! Parce qu’elle se fait payer plus cher que la fille du coin de la rue qui n’a pas de quoi