Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne pas sombrer dans l’abîme affreux du doute et de la plus déshonorante jalousie, aux marques de sincérité que lui avait données Suzanne. Que devint-il lorsqu’il acquit, dès le début de ce rendez-vous si désiré, la preuve, l’indéniable preuve que cette sincérité n’était pas celle qu’il croyait ? Il était venu au petit appartement de la rue des Dames avec une expression de souci sur son visage qui n’avait pas échappé à Suzanne. Mais à son tendre : « Qu’as-tu ? … » il avait prétexté un injuste article paru dans un journal. Puis il avait eu presque honte de cette innocente excuse, tant sa maîtresse avait mis de grâce à lui dire :

— « Grand enfant, si tu n’avais pas d’envieux, c’est que tu n’aurais pas de succès. »

— « Parlons de toi… » avait-il répondu, et le cœur battant : « Qu’as-tu fait depuis que je ne t’ai vue ? … »

Si Suzanne l’avait observé en ce moment, elle aurait deviné avec quelle angoisse il lui posait cette question. C’était un piège, innocent, naïf, mais un piège. En trois fois vingt-quatre heures, le soupçon avait conduit cet amant enthousiaste à ce point de défiance. Mais Suzanne était, vis-à-vis de lui, exactement dans la situation où Desforges se trouvait vis-à-vis d’elle-même. Elle ne pouvait pas croire que René agît en dehors du caractère