Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/373

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raison de ce premier mouvement. N’y a-t-il pas un demi-aveu dans toute défiance anticipée ? Les vrais innocents ignorent. Il fallait savoir ce que René avait fait lui-même depuis l’autre jour, et quelles personnes il avait vues, capables de lui parler.

— « Est-ce que tu es allé chez mademoiselle Rigaud ? » demanda-t-elle d’un air détaché.

— « Oui, » répondit René qui ne sut pas dissimuler la gêne où le jetait cette question.

— « Et elle pardonne au pauvre Claude ? » continua Suzanne.

— « Non, » fit-il, et il ajouta : « C’est une bien vilaine femme, » d’un ton si amer que madame Moraines entrevit du coup une partie de la vérité. L’actrice avait certainement parlé d’elle à René. De nouveau elle fut saisie du désir de provoquer une confidence. Elle pensa que le plus sûr moyen pour arriver à ce but était d’enivrer son amant de volupté. Elle savait combien l’homme est sans résistance, contre le flot d’émotion que les caresses versent dans son cœur. Elle ferma la bouche de René d’un long baiser. Elle put voir passer dans ses yeux la flamme du sombre désir, de celui qui nous jette à la folie des sens, pour y boire l’oubli du soupçon. À l’ardeur silencieuse avec laquelle il lui rendit son baiser, et à la frénésie presque brutale de possession