Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/409

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Claude l’écoutait, la tête appuyée sur sa main, sans rien répondre. Il avait souffert, et il savait que de crier sa souffrance soulage. Il plaignait le malheureux enfant qui sanglotait, de tout son cœur, et l’analyste lucide qui était en lui ne pouvait se retenir d’observer la différence entre la sorte de désespoir propre au poète et celui qu’il avait éprouvé lui-même, tant de fois, dans des circonstances semblables. Il ne se souvenait pas d’avoir jamais, même à ses pires heures, agonisé ainsi sans se regarder mourir, au lieu que René lui donnait le spectacle d’une créature vraiment jeune et sincère, qui ne tient pas un miroir à la main pour y étudier ses larmes. Ces étranges réflexions sur la diversité de la forme des âmes, ne l’empêchèrent pas d’avoir mieux qu’une sympathie, une émotion profonde dans la voix, pour reprendre enfin, lorsque René s’arrêta de sa plainte :

— « Notre cher Henri Heine l’a dit : L’amour, c’est la maladie secrète du cœur… Vous en êtes à la période d’invasion… Voulez-vous le conseil d’un vétéran du lazaret ? Bouclez votre malle et mettez des lieues et des lieues entre vous et cette Suzanne… Un joli nom et bien choisi ! Une Suzanne qui se ferait payer par ses vieillards ! … À votre âge, vous guérirez vite… J’ai bien guéri, moi. Si je sais comment et quand, par exemple ! …