Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/442

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la porte et montré un visage qui ne laissa plus de doute à Suzanne, tant était grande la ressemblance entre la sœur et le frère. Émilie, elle non plus, n’hésita pas sur l’identité de la visiteuse, et, sans doute, les nouvelles souffrances de René durant ces derniers jours, jointes aux révélations de Claude durant leur entretien, avaient exaspéré son antipathie contre madame Moraines, car elle ne put dissimuler une expression d’hostilité passionnée, et elle répondit à la demande de la jeune femme, du ton le plus pincé :

— « Non, madame, mon frère n’est pas là… » Puis, son affection de sœur lui suggérant une ruse subite pour prévenir toute question sur l’heure possible de la rentrée de René, elle ajouta : « Il est parti en voyage ce matin même… »

Que cette réponse fût un mensonge, le concierge s’était comme chargé de le démontrer à l’avance. Mais que ce mensonge fût une soudaine invention d’Émilie, cela, Suzanne ne pouvait pas le penser. Elle dut croire et elle crut que madame Fresneau obéissait à une consigne donnée par son frère. Elle n’essaya pas d’en savoir davantage, et se contenta de dire en s’inclinant un : « Madame… » où la grâce parfaite de la mondaine prenait la seule revanche qui lui fût permise sur la maussaderie presque impolie de la bourgeoise. Mais cette grâce n’empêcha point