Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/51

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projets qu’elle caressait vaguement pour son frère. Lorsque la mère et les deux filles se furent levées, qu’elles eurent mis leur chapeau et qu’elles vinrent dire l’adieu accoutumé, la jeune femme trouva dans cette impression de quoi embrasser Rosalie plus affectueusement que de coutume. Elle voulait bien la plaindre de souffrir pour René, mais cette pitié n’allait pas sans une certaine douceur, car la souffrance de la jeune fille prouvait l’indifférence du jeune homme, et, la porte refermée, ce fut avec une joie sans mélange dans ses clairs yeux bruns qu’elle dit à Françoise :

— « Vous aurez bien soin de ne pas faire de bruit demain matin ? »

— « Pas plus qu’une mariée de minuit, » répondit la servante.

— « Ni toi non plus, mon gros lourdaud, » dit-elle à son mari, en rentrant dans la salle à manger où le professeur reprenait déjà la corvée de ses copies… « J’ai recommandé à Constant de s’habiller tout doucement pour aller à son cours… » — Elle ajouta, avec un sourire d’orgueil : « Quel triomphe pour René ce soir, à moins que ces gens du monde ne fassent la petite bouche ! » Elle répétait une formule habituelle à Claude.— « Bah ! ils ne pourront pas, ses vers sont si beaux, presque aussi beaux que lui ! … »