Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/107

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ce sauvage accent, l’épouvantait moins encore que ce mystère soudain entrevu dans leurs relations passées, ce secret d’une implacable rancune, conservée vingt ans durant dans ce cœur auquel elle avait cru, comme on croit au cœur d’un père, même quand il ne vous montre pas de tendresse. A cette première et affreuse découverte, une autre s’ajoutait, dont la malheureuse enfant ne discernait pas le détail, mais qui allait se préciser pour elle de minute en minute, la dénonciation de la faute de sa mère, de cette mère qu’elle avait aimée, elle, avec tout l’abandon de son être le plus intime, avec tant de foi et de vénération. Béatrice était profondément, absolument pure. Pourtant elle n’avait pas vécu au milieu des familiers de l’hôtel Nortier, un Desforges, un Crucé, un Portille, un Machault, voire un Casal, sans que leurs conversations lui eussent, non pas appris, mais fait soupçonner bien des choses. Son esprit très droit s’était ainsi arrêté à une conception simpliste de la société. Les femmes se divisaient pour elle en deux classes, les honnêtes et les autres. Incapable de se représenter dans leur réalité physique les traits qui distinguaient ces autres,