Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/187

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vérité qui, à la lettre, et pour employer une métaphore aussi brutale qu’expressive, « crevait les yeux. » Mais bien d’autres indices « crevaient les yeux », que je retrouve aujourd’hui, par un étrange pouvoir d’observation rétrospective. — C’est le seul dont la nature m’ait doué. Il est presque ironique d’inefficacité. — Je me rends compte, par exemple, que le couple placé à la table voisine de la mienne n’était pas moins intéressé que moi par la prétendue Mme de La Charme et par son compagnon. Ce couple se composait du major général anglais dont m’avait parlé Mme Balbi et de sa fille : lui, un rude et long chef de mercenaires, âgé de cinquante-cinq ans, sorte de géant très maigre avec des os énormes, un teint brûlé par les Indes, par l’alcool, par l’Océan ; des cheveux roux en train de passer au blanc dans le verdâtre, et des yeux glauques d’une énergie, d’une loyauté admirables, de vrais yeux de soldat sans peur et sans reproche ; — elle, une de ces grandes girls trop tôt poussées, dont on ne sait, à seize ans, si elles deviendront athlétiques ou poitrinaires, tant les signes de force se mélangent en elles aux signes de faiblesse.