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la terreur en macédoine

il se traîne sur les mains et SUT le ventre, comme un phoque échoué sur le sable. Ses yeux perçoivent, dans les herbes, un éclat de métal et ses mains sentent un corps dur.

« Un poignard !… ô joie… »

Il saisit l’arme, et, lentement, avec d’infinies précautions, pour ne pas entamer sa chair tuméfiée, tranche ses liens. Cela fait, et se traînant toujours, il revient à la rivière, laisse pendre ses jambes dans l’eau, et attend, avec le retour de la circulation, l’apaisement de ses tortures.

Et, pendant ce temps, son âme endolorie revit les terribles événements dont il est la victime et le héros !

L’union avec Nikéa la Belle, puis la horde des bandits s’abattant sur la demeure en fête, le pillage, la défense, la ruine, la mutilation, la mort… Et sa voix, qui s’est affermie, gronde maintenant avec une sorte de frénésie, de haine et d’énergie :

« Garde-toi, Marko, garde-toi !

« Où que tu sois, et quelle que soit ta puissance, je te ferai subir le supplice que tu as infligé à Grégorio…

« Je le jure !… moi dont tu as brisé la vie… moi que tu crois au fond de la rivière, noyé ou criblé de balles… moi Joannès ! »

Ainsi, c’est lui, l’intrépide Slave, dont le retour à la vie et à la liberté semble un défi jeté à la raison !

Voici d’ailleurs comment s’accomplit ce miracle de sang-froid, d’audace et d’endurance. Quand la troupe des Albanais passait la Sitnitza, Joannès avait repris connaissance, grâce à la barbarie de Nikol fouillant de son poignard la plaie de son épaule. Brisé, la cervelle congestionnée, il n’en conservait pas moins un sang-froid inouï.