Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/219

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visait qu’à dégager l’esprit de la lettre, de s’en tenir aux apparences. Boehme, en réalité, n’est pas l’homme simple et ignorant qu’il nous dit être. Il est doué d’une intelligence vive et ouverte, ainsi que l’ont tout de suite remarqué ses premiers maîtres. Or il vit dans un temps et dans un pays où s’agitent les plus grands problèmes. L’ancienne mystique fleurit encore en Allemagne avec Schwenckfeld et Sébastien Franck. En même temps s’y développe, depuis Nicolas de Cusa et sous l’influence du naturalisme italien, une théosophie brillante et profonde, représentée par Agrippa de Nettesheim et Paracelse, réhabilitation et divinisation de cette nature qu’anéantissaient les mystiques du Moyen Âge. D’un autre côté, à l’optimisme moral d’Eckhart et de ses disciples, Luther avait naguère opposé la doctrine du mal radical et positif, qui se dresse contre Dieu en adversaire, et qu’on ne saurait ramener à une simple diminution ou privation. Et, de bonne heure, les principes nouveaux étaient rentrés en rapport ou en conflit avec le principe de l’ancienne mystique. Le protestantisme essayait déjà cette réconciliation de ses origines mystiques et de ses origines pauliniennes, de son monisme spiritualiste et de son dualisme moral, de son principe de liberté et de son principe de discipline, qu’il poursuit encore aujourd’hui. La théosophie s’unissait à la mystique dans Valentin Weigel, qui donnait pour matière à la réflexion subjective d’Eckhart l’homme de Paracelse, résumé et perfection des trois natures, ter-