Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/232

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nature, forme, finie et déterminée : car tout ce qui existe comme chose déterminée exige une cause et une raison. Nous ne pouvons, quant à nous, concevoir cet être que comme le rien éternel, l’infini, l’abîme, le mystère. Boehme se sert du mot Ungrund pour désigner cette source première des choses, voulant dire par là qu’au-dessous de Dieu il n’y a rien qui lui serve de base, et aussi que dans le premier être le fondement ou la raison des choses n’est pas encore manifesté. L’infini primordial n’est ainsi, en lui-même, rien que silence, repos sans commencement ni fin, paix, éternité, unité et identité absolues. En lui nul but, nul lieu, nul mouvement pour chercher et trouver. Il est exempt de la souffrance, compagne du désir et de la qualité. Il n’est ni lumière ni ténèbres. Il est, pour lui-même, mystère impénétrable.

Telle est la condition initiale de la divinité. En est-ce aussi l’achèvement ? Si l’on dit oui, on réduit Dieu à n’être qu’une propriété abstraite, dénuée de force, d’intelligence et de science ; et on le rend incapable de créer le monde, où se rencontrent ces perfections dont il est privé. Mais il est impossible que Dieu soit ainsi un être inerte, habitant par delà les cieux. Le Père est tout-puissant, tout-connaissant ; il est la douceur, l’amour, la miséricorde, la béatitude elle-même. Et le monde tient de lui toutes les perfections qui s’y rencontrent. Comment donc se fera le passage du Dieu néant au Dieu personne et créateur ?