Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/231

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parler le langage du diable ; car c’est dire que la lumière éternelle a jailli des ténèbres, et que Dieu a eu un commencement. « Pourtant je suis obligé d’employer ce terme de naissance de Dieu : autrement tu ne pourrais me comprendre. Êtres bornés, nous ne parlons qu’en morcelant les choses, en brisant l’unité du tout. Il n’y a en Dieu ni alpha ni omega, ni naissance ni développement. Mais je suis obligé de ranger les choses l’une après l’autre. C’est au lecteur à ne point me lire avec les yeux de la chair. »

La nature éternelle s’engendre elle-même sans commencement. Comment se fait cette génération ?

Boehme se pose ici le problème classique de l’aséité. Mais tandis que par ce terme les scolastiques entendent une simple propriété de l’être parfait et une propriété surtout négative, Boehme veut que cette expression étrange : « Dieu cause de soi » prenne un sens précis, concret et positif. Sonder le mystère qu’elle renferme est pour lui la question première et capitale, dont la solution éclairera toutes les autres. Et il ne croit pas devoir s’arrêter dans ses recherches tant qu’il n’aura pas reconstruit par la pensée la suite logique des opérations au moyen desquelles Dieu s’élève du néant à la pleine existence.

Qu’y avait-il donc au commencement, et de quel germe Dieu s’est-il engendré ?

Au commencement était l’être qui ne suppose rien avant lui, en qui, par conséquent, rien n’est essence,