Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/261

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par l’action du principe positif, qui le suscite pour s’y manifester. Dieu seul est souverain ; et c’est le mouvement interne de la volonté divine qui pose en dehors de Dieu la matière, comme condition de ce mouvement même. La matière est l’aspect extérieur, le phénomène de l’action invisible de l’esprit. Elle fixe dans des formes mortes le jaillissement continu de la lumière vivante. Dépendante de l’esprit quant à son origine, la nature lui est soumise quant à sa destination. Elle a pour fin de lui fournir, en le manifestant, l’objet dont il a besoin pour se saisir et se personnifier. Elle ne résiste à l’esprit que pour lui offrir l’occasion de déployer ses forces : son instinct est une intelligence qui s’ignore, sa passion un désir inconscient de la liberté. Loin donc que la nature soit l’égale de Dieu, c’est à l’appel de Dieu qu’elle commence d’exister ; et le terme de son développement est son exacte adaptation à la volonté de l’esprit.

La théologie de Boehme côtoie ainsi le dualisme comme elle a côtoyé l’évolutionnisme, sans s’y heurter et sans y échouer. C’est qu’au fond Boehme se propose de trouver un moyen terme entre ces deux doctrines. Selon lui, les anciens mystiques ont eu tort de proscrire tout dualisme. Ils n’ont pu, pour cette raison, réaliser la philosophie de la personnalité qu’ils avaient conçue. Leur Dieu manque des conditions de l’existence réelle, et ne dépasse pas l’existence idéale. Ce n’est qu’en empruntant au dualisme l’idée d’une existence éternelle