Page:Boutroux - Études d’histoire de la philosophie.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
295
DESCARTES

peut attendre longtemps avant de rencontrer le terrain propice où elle portera tous ses fruits. Voilà pourquoi il importe de considérer les idées dans le génie même où elles sont écloses. Que de fois elles sont ainsi apparues plus grandes et fécondes que ne les avaient faites des disciples incapables de les embrasser ! « Philosophia duce regredimur », selon une profonde devise de la Renaissance retrouvée par M. Victor Egger.

Faut-il maintenant rappeler l’excellence de Descartes comme écrivain ? À ce point de vue encore, son importance ne saurait être exagérée. S’agit-il de son rôle historique ? M. Désiré Nisard a montré qu’il a le premier donné le modèle parfait de la prose française. C’est la langue cartésienne qui sera l’étoffe du style de nos grands écrivains. Et, considérée en elle-même, cette langue, marquée au coin de la méthode du philosophe, possède au plus haut degré les qualités maîtresses de tout langage : la propriété des termes et l’expression de l’ordre des idées. L’intuition et la déduction cartésiennes ont mis leur empreinte sur le style du Discours de la Méthode. Non que cette langue soit abstraite et impersonnelle. La raison de Descartes est une raison vivante et enthousiaste, qui ne se borne pas à mettre en syllogismes les vérités acquises, mais qui s’applique à trouver, à créer, à communiquer aux intelligences son activité créatrice. Cette vie de la pensée anime le style lui-même, qui allie, d’une façon surpre-