Page:Boutroux - Pascal.djvu/61

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Dans un voyage en Poitou qu’il fit avec le duc de Roannez et Méré, vers le mois de juin 1652, il souffrit, semble-t-il, d’être considéré par ses amis comme un simple mathématicien, étranger aux choses de goût et de sentiment. Méré, parlant de lui selon toute apparence, raconte qu’il faisait rire la société par les raisonnements de géomètre qu’il mêlait gauchement à la conversation des beaux-esprits, qu’il s’en aperçut vite et cessa de parler, et que, chose bien remarquable, en fort peu de temps il en vint à ne dire presque rien qui ne fût bon et qu’on n’eût avoué. Depuis ce voyage, ajoute Méré, le grand mathématicien ne songea plus aux mathématiques, et ce fut là comme son abjuration.

Ce langage est d’un fat. Il est certain pourtant que Méré avait des idées intéressantes sur les divers ordres de connaissances, et sur les méthodes qu’il convient d’y appliquer. Dans une lettre qu’il écrivit plus tard à Pascal, il l’avertit, avec sa suffisance, que ces démonstrations mathématiques en qui il a tant de confiance, que cet art de raisonner par les règles, dont les demi-savants font tant de cas, ne s’appliquent légitimement qu’à des fictions, et sont tout à fait incapables de nous faire connaître ce que sont les choses réelles ; que, lorsqu’on a l’esprit vif et les yeux fins, on remarque d’abord dans les objets quantité de choses qu’un géomètre n’y verra jamais ; qu’il y a ainsi deux méthodes : les démonstrations et le sentiment naturel, celui-ci bien supérieur à celles-là ; et qu’il y a deux mondes : le corporel qui tombe sous les sens et sous le calcul, et un autre, invisible et véritablement infini, où résident