Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/222

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invisible, créateur du monde, qui est le troisiéme dieu, ne se trouve-t-il pas autant de dieux qu’il y a de parties dans la matière ? Et ce systême n’est-il pas une ébauche informe de celui de Spinosa ?

Je crois, mon cher Isaac, que dès le moment que les hommes eurent tombé dans l’idolâtrie, Dieu retira entièrement son esprit d’eux & de leur postérité : ils n’eurent plus aucune vraie connoissance de la divinité, & toutes les idées qu’ils en conçurent ne vinrent que d’un reste du souvenir que leurs peres leur avoient transmis d’une divinité qu’ils avoient abandonnée.

Je sçais que ce principe conduit à l’opinion qui veut que nous n’ayions aucune idée innée de Dieu. Mais je crois qu’il n’y a qu’à considérer attentivement cette question, pour être convaincu que l’ame n’a aucune idée innée de la divinité avec elle, & qu’elle n’en acquiert la connoissance que par la réflexion qu’elle fait lorsqu’elle est en état de raisonner sur les grandes merveilles qu’elle comprend n’avoir pû être opérées que par un être suprême & parfait. Si l’ame avoit une idée innée de la divinité, elle ne pourroit être fausse ; & les caractères imprimés par la main du tout-puissant ne pourroient être effacés.