Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/55

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qu’à le manger vivant.

Je suis de son sentiment, mon cher Brito : & je t’avouerai, que je pardonnerois plutôt à un pere de tuer son enfant dès le moment de sa naissance, que de le nourrir jusqu’à un certain âge, pour lui préparer pendant toute sa vie des tourmens affreux ; car c’est-là l’état dans lequel sont la plûpart des religieuses : & je puis t’en parler savamment, ayant été plusieurs fois dans des couvens avec le chevalier de Maisin, qui m’a fait connoître deux ou trois de ses parentes, qui sont destinées à passer leurs jours dans des peines infinies.

Vous êtes, disois-je un jour à une de ces religieuses, moins malheureuse que vous ne pensez. Eloignée du monde & de ses embarras, votre vie coule dans la tranquillité. Rien ne doit vous troubler. Vous n’êtes agitée par aucun soin de famille. Vous avez enfin les trois choses en quoi consiste le bonheur suprême : la vertu, la santé & le nécessaire. Vous vous trompez, me répondit-elle, je n’ai aucune de ces trois choses. Ma vertu est une vertu forcée, que je n’ai point acquise par choix & par prédilection. C’est donc plutôt une contrainte qui m’empêche de succomber au crime, sans m’en ôter le desir : qu’une haine pour le mal. Les grilles assurent ma chasteté & ma pudeur ;