Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/60

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là ce monde dont on dit qu’on regrette quelquefois d’être séparé ? Il faut être folle, ou le connoître bien peu, pour penser de même.

« Dans ces idées, je fis des vœux éternels, qui m’attacherent à cette maison. Je passai mes premieres années dans la tranquillité : mais lorsque j’eus atteint l’âge de dix-neuf à vingt ans, je commençai à connoître qu’on m’avoit trompée. Les gens du monde que je voyois au parloir, acheverent de me dessiller les yeux. Mon cœur sentoit des mouvemens dont il n’étoit pas le maître. Le chant des oiseaux, la vûe des hommes, mon miroir lorsque je m’y regardois, & plus que tout cela, mon cœur m’apprenoit que je n’étois pas faite pour n’être point sensible. Hélas ! à quoi m’eût-il servi de le devenir ? Mes desirs n’auroient fait qu’augmenter mon infortune. Je tâchois au commencement de dissiper mon chagrin par la lecture : mais plus mon esprit prenoit de nouvelles lumières, & plus mon cœur étoit agité. Les romans étoient les livres qui me plaisoient le plus : je les dévorois avec une avidité extrême ; & je mouillois