Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/84

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mille écus de bien, & levé sans un sol. Sa plus grande perte ne va pas au-delà de quelque mouton qu’un loup peut lui enlever pendant la nuit. Il ne paye aucun impôt lorsqu’il vient au monde, & lorsqu’il en sort.

Les procureurs, les avocats & les différens degrés de jurisdictions subalternes, inférieures & souveraines, sont inconnues aux heureux Bédouins. Un procès ne dure jamais plus de vingt-quatre heures entre deux particuliers. L’ancien de la tribu juge sur le champ & sans épices le différend. Ces peuples ne sçauroient croire qu’une affaire traîne quelquefois cent ans dans les familles des nazaréens, & généralement tous les Turcs regardent ce discours comme inventé pour montrer la lenteur de la justice. Il est vrai cependant qu’il y a plusieurs différends qui ne sont point terminés dans le cours d’un siécle. Un négociant François m’a assuré à Constantinople qu’il poursuivoit au parlement de Grenoble un procès qui duroit depuis cent vingt ans.

Quelle ridiculité, mon cher Monceca, ou plutôt quelle avarice ! Quoi, pour terminer le différend de deux hommes, il faut plus de tems qu’ils n’en sçauroient vivre ? Pour dire un tel héritage doit appartenir à Jacob,