Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/85

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ou à Isaac, cent vingt ans ne suffisent pas ?

Heureux les Bédouins, qui, conservant encore les premières impressions de la nature, n’ont point offusqué leur raison par des coutumes aussi ridicules !

J’ai parlé souvent à des nazaréens de la longueur de leurs procès. Ils pensent la justifier, en répondant que la justice est très-lente chez eux ; mais qu’elle est bonne & rendue avec beaucoup de prudence. Eh quoi ! pour juger un affaire prudemment, faut-il employer des siécles ? Faut-il qu’un même procès soit examiné par trois ou quatre générations, & que les juges, de pere en fils, laissent à leurs enfans certaines affaires, dont les épices sont une partie du revenu de la famille ? Pour juger sainement un procès, est-il nécessaire de ruiner totalement les deux parties, & d’absorber en frais de justice, au-delà de la somme dont il s’agit ? Les nazaréens, mon cher Monceca, tâchent en vain d’excuser les défauts & les lenteurs de leurs tribunaux judiciaires par leur équité. Leurs peintres peignent la Justice une balance à la main. Mais elle penche souvent du côté le plus pécunieux ; ou du moins, bien des gens s’en plaignent. Il n’est aucun particulier qui ne tremble, lorsqu’il a quelque démêlé avec un seigneur dont le crédit est puissant. Mauvaise marque