Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/296

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semble semer ses trésors à profusion, jeter la chaleur et la lumière à pleines mains, comme s’il vous disait : « Allez, allez ! c’est la fin, je donne tout ; nous n’avons plus d’économies à faire ; nous mourons demain ! »

Gabriel courbait les épaules sous la pesanteur voluptueuse des arbres où il avait passé à l’époque heureuse de son amour, au bras de Luisa. Le palais rose, les balustrades fleuries, les lianes encombrantes des allées, le parfum des plantes exotiques, et la présence encore de celle qui lui avait divinisé tout cela, mais aujourd’hui suspendue au bras d’un autre, lui versaient un enivrement qui s’accentuait pas à pas. Il fouettait de sa canne la tige des plantes, et il se redressait parfois, tout en marchant, comme s’il eût senti que sa taille ou ses membres ployaient.

Mme de Chandoyseau s’exclama en passant devant la fenêtre de la chambre des fleurs. Il y en avait une quantité en pots, et quelques-unes, déjà cueillies et humectées d’eau fraîche, étaient disposées sur les paniers et faisaient avec le mobilier rustique le plus gracieux effet.

Mme Belvidera et Dompierre étaient demeurés en arrière.

— Venez donc ! venez donc ! leur dit-on ; il faut absolument voir cela, c’est délicieux !

— Ah ! dirent-ils, et ils s’avancèrent jusqu’à l’appui de la fenêtre, pendant qu’on se retirait pour leur faire place.

Ils durent se pencher, explorer la pièce du regard.

Gabriel murmura :

— Je veux vous avoir là, une dernière fois, quand la nuit tombera, là !

Elle ne lui répondit pas et s’exclama comme tout le monde :

— C’est délicieux ! c’est délicieux !