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ACQUISITIONS NOUVELLES.

Je veux encore donner un exemple de cette intelligence cachée, et pourtant si attentive, qui profite même des moindres accidents pour fournir à la pensée une ressource nouvelle.

Tout le monde sait que l’adverbe est un ancien adjectif ou substantif sorti des cadres réguliers de la déclinaison. C’est ainsi que primum, ceterum, potius sont d’anciens accusatifs, que crebro, subito, vulgo sont d’anciens ablatifs. Mais d’où viennent les adverbes en -e, comme pulchre, recte ? C’est ce qu’on n’a pas assez cherché jusqu’à présent.

Le latin aimait à changer de déclinaison ses substantifs ou adjectifs, quand ils s’allongeaient d’un préfixe ou quand ils entraient en un composé. Animus fait exanimis, fama a fait infamis, clivus a fait proclivis, pœna a fait impunis, et ainsi de suite. L’ablatif de ces mots en is était eid ou e. À une époque où la langue latine n’était pas encore fixée, on avait donc le choix entre infirmus ou infirmis, præclarus ou præclaris, dont l’ablatif était infirmo ou infirme, præclaro ou præclare. L’usage n’a pas manqué de tirer parti de cette double forme : il a donné la préférence à la forme en e qui se détachait mieux de la déclinaison ordinaire. Non seulement cette forme a été préférée pour l’adverbe, mais elle a été généralisée, en sorte qu’on a eu aussi firme, clare. L’osque amprufid, qui correspond au latin improbe, est un témoin ne permettant aucun doute sur cette