Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t2.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
LE SECRET

un voyage qui ne conduit à aucune demeure habitée ? Est-il surprenant qu’il y ait eu dans le monde des quiétistes depuis que la religion du Christ a été prêchée pour la première fois sur la terre ? Est-il étrange qu’il existe des êtres d’une patience courageuse et d’une résignation tranquille, qui attendent avec calme ce qui doit arriver au delà sur le rivage du fleuve aux ondes noires ? N’y a-t-il pas plutôt lieu de s’étonner que quelqu’un se soucie jamais d’être grand pour l’amour de la grandeur, pour aucune autre raison que pure conscience, simple fidélité de domestique qui craint d’exercer son habileté par le détournement d’une serviette, sachant que l’indifférence est bien près de la malhonnêteté. Si Robert Audley eût vécu à l’époque de Thomas à Kempis, il se fût très-probablement construit un petit ermitage au milieu de quelque forêt solitaire, et eût coulé sa vie dans la paisible imitation de l’auteur renommé de l’Imitation. Tel qu’il était, Fig-Tree Court était un charmant ermitage dans son genre, et aux bréviaires et livres d’heures je suis honteux de dire que le jeune avocat substituait Paul de Kock et Dumas fils. Mais ses péchés étaient d’un ordre négatif si simple, qu’il lui aurait été vraiment facile de les abandonner pour des vertus négatives.

Une seule lumière isolée était visible dans la longue rangée irrégulière des fenêtres faisant face à l’arche ; quand Robert passa sous l’ombre lugubre du lierre, frémissant sans cesse au vent glacé qui gémissait, il reconnut la croisée éclairée pour être le large œil-de-bœuf de la chambre de son oncle. La dernière fois qu’il avait vu la vieille habitation, elle retentissait de la gaieté des invités, chaque fenêtre brillait comme une étoile basse dans l’obscurité ; aujourd’hui sombre et silencieuse, elle se dressait dans la nuit d’hiver comme un triste manoir baronnial enfoncé dans la solitude des bois.