Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t2.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
DE LADY AUDLEY

le paysage lui était familier ; il connaissait chaque inflexion des arbres, chaque caprice des branches indépendantes, chaque ondulation dans les noires haies d’aubépines, entremêlées de marronniers d’Inde nains, de saules rabougris, de noisetiers et de cassis.

Sir Michaël avait été un second père pour le jeune homme, un généreux et noble ami, un sérieux et attentif conseiller ; et peut-être le sentiment le plus fort du cœur de Robert était-il son amour pour le baronnet à barbe grise. Mais son affectueuse reconnaissance faisait si bien partie de lui-même, qu’elle se manifestait rarement en ses discours, et jamais un étranger n’aurait soupçonné la force du sentiment énergique qui existait à l’état de courant profond et puissant, sous la surface stagnante du caractère de l’avocat.

« Qu’adviendrait-il de cette résidence si mon oncle venait à mourir ? pensa-t-il, tandis qu’il atteignait l’arche couverte de lierre et les étangs paisibles, aux eaux grises et froides par le crépuscule. D’autres personnages vivraient-ils dans la vieille maison et viendraient-ils s’asseoir sous les bas plafonds de chêne, dans les simples appartements de famille ? »

Cette merveilleuse faculté d’association d’idées, si entrelacée avec les fibres intimes de la nature même la plus dure, remplit le cœur du jeune homme d’une douleur prophétique, tandis qu’il pensait que toujours, tôt ou tard, le jour devait venir où les volets de chêne seraient fermés pendant quelque temps, et où la lumière du jour ne pénétrerait pas dans la maison qu’il aimait. Il lui était pénible même de songer à cela, comme il est toujours pénible de songer à la brièveté du bail que le plus grand de la terre puisse jamais passer avec ses grandeurs. Est-il donc si surprenant que des voyageurs tombent endormis sous les haies, et prennent à peine souci de se traîner en avant dans