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LE SECRET

« Impossible de sortir à cheval aujourd’hui, dit-elle, et pas la moindre chance de voir des visites pour nous égayer, à moins que ce ridicule Bob n’affronte la boue et la pluie pour venir de Mount Stanning. »

Avez-vous jamais entendu parler d’une manière légère et indifférente de quelqu’un que vous savez mort par une autre personne qui ignore la nouvelle ? Cette personne fait dire et faire à celui qui n’est plus les mille absurdités dont se compose la vie journalière, tandis que vous savez, vous, qu’il a disparu pour toujours de la surface de la terre, et qu’il y a, entre lui et les occupations quotidiennes des vivants, la pierre d’une tombe ? Ces allusions, quelque insignifiantes qu’elles soient, produisent une sensation désagréable dans l’esprit. Ces remarques affectent péniblement votre sensibilité nerveuse, et ce manque de respect involontaire envers la mort vous est odieux. Quels furent les motifs qui firent frissonner lady Audley en entendant le nom de Robert ? Dieu seul le sait, mais sa figure devint pâle comme la mort quand Alicia parla de son cousin.

« Oui, il viendra peut-être malgré la boue et la pluie, continua la jeune fille, et il entrera ici avec son chapeau déformé et ruisselant comme si ce dernier eût été brossé avec un petit pain de beurre frais. Une vapeur blanche s’échappera de ses vêtements et le fera ressembler à quelque divinité des eaux montrant sa tête au milieu des ondes. La boue de ses bottes salira votre tapis, milady, ses habits mouillés frôleront votre tapisserie des Gobelins, et si vous lui en faites l’observation, il le trouvera mauvais et vous demandera pourquoi vous avez des fauteuils si ce n’est pas pour s’asseoir dessus. Il vous dira qu’il vaudrait autant vivre à Fig-Tree Court, et… »

Sir Michaël Audley regardait sa fille d’un air sérieux pendant qu’elle parlait de son cousin. Il arrivait sou-