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LE SECRET

de vaisseau, je pense qu’elle eût trouvé quelque sombre satisfaction dans ses souffrances.

« Peut-être Robert s’occuperait-il de moi si j’étais malade, se disait-elle : il ne m’appellerait plus grande folle ; les grandes folles ne sont pas sujettes aux pleurésies. »

Elle s’imagina qu’elle en était arrivée au dernier point de la maladie, qu’on l’avait entourée d’oreillers dans un grand fauteuil placé près de la fenêtre, et qu’elle contemplait une dernière fois les rayons du soleil. Autour d’elle était une table chargée de médicaments, une bible, des fleurs, et Robert désolé, qui venait recevoir sa bénédiction. Dans cette bénédiction, elle le sermonnait longtemps, plus longtemps qu’il n’est permis aux malades, et ce château en Espagne lui souriait beaucoup. Avec de pareilles fantaisies en tête, miss Audley ne s’occupait guère de sa belle-mère, et six heures sonnaient au moment où Robert avait enfin reçu sa bénédiction.

« Grand Dieu ! s’écria-t-elle tout à coup, déjà six heures passées et je ne suis pas encore habillée ! Voulez-vous rentrer, milady ? »

La demi-heure sonna dans la coupole du toit pendant qu’Alicia parlait.

« Tout à l’heure, je me suis habillée avant de descendre, comme vous voyez. »

Alicia s’éloigna, mais la femme de sir Michaël demeura dans le parterre : elle attendait ces nouvelles si lentes à venir.

Il était presque nuit. Les ténèbres commençaient à envelopper la terre. Au-dessus des prairies flottait une vapeur grise, et un étranger qui aurait aperçu le château d’Audley en ce moment, se serait imaginé que le château se dressait au bord de la mer. Sous l’arche, les ombres du soir se condensaient et semblaient attendre une occasion de se glisser insensiblement dans