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DE LADY AUDLEY

tait en avant, dans ce bureau aux billets vers lequel le train avançait, près de cet endroit caché et non sanctifié où les restes de l’homme mort étaient restés négligés et oubliés.

« Il faut que je fasse enterrer mon ami convenablement, » se dit Robert, pendant qu’un vent froid soufflait au dehors et lui faisait l’effet de la respiration glacée qui se serait échappée des lèvres d’un mort, « ou bien je mourrai de quelque panique comme celle qui m’a saisie ce soir. Il le faut à tout prix, quand bien même je devrais arracher la coupable de sa retraite et l’amener au banc des criminels. »

Il éprouva un soulagement quand le train s’arrêta à Brentwood, quelques minutes après minuit. Une seule personne descendit avec lui à cette petite station : c’était un campagnard qui revenait d’assister à la représentation d’une tragédie. Les campagnards vont toujours voir les tragédies. Nos jolis vaudevilles ne sont pas faits pour eux. Les jolis petits salons, ornés d’une lampe modérateur et de fenêtres à la française, où l’intrigue se déroule entre un mari confiant, une femme coquette et une soubrette rusée qui passe son temps à épousseter les meubles et à annoncer les visiteurs, ne font pas leur affaire. Ce qu’ils veulent, c’est une bonne tragédie en cinq actes dans laquelle leurs aïeux ont vu figurer Garrick et mistress Abington, où eux-mêmes peuvent se souvenir de la belle O’Neil, cette femme charmante dont les épaules et le beau col devenaient cramoisis de honte et d’indignation quand l’actrice représentait mistress Beverley, et que Stukeley insultait à sa pauvreté et à son malheur. Je ne crois pas que les O’Neils modernes jouent aujourd’hui leurs rôles avec tant de sensibilité. En tout cas, cette sensibilité n’a plus de charme pour le public depuis l’apparition de Rachel et du genre nouveau qu’elle a créé.