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LE SECRET

belle que le matin, sous son large chapeau de paille à longs rubans flottants. M. Audley aurait été plus fier d’attacher à sa boutonnière un bout de ces rubans que n’importe quelle décoration.

On parlait souvent de George dans ces promenades du matin, et Robert Audley prenait carrément place à la longue table du déjeuner, sans se rappeler la matinée où il s’était assis pour la première fois dans cette salle, et avait détesté Clara Talboys, pour la froideur avec laquelle elle avait écouté l’histoire de son frère. Il savait à quoi s’en tenir maintenant. Il savait qu’elle était aussi bonne que belle. Mais avait-elle découvert combien elle était aimée de l’ami de son frère ? Robert se demandait parfois s’il ne s’était pas déjà trahi, si l’influence magique qu’elle avait sur lui ne s’était pas révélée par quelque regard imprudent, par le tremblement de sa voix, qui n’était plus la même quand il s’adressait à elle.

La vie ennuyeuse qu’on menait à la maison carrée était égayée de temps en temps par un dîner auquel assistaient quelques campagnards chargés de se supporter mutuellement, et par des visites matinales qui faisaient irruption dans le salon, au grand désespoir de M. Audley. Le jeune avocat se montrait surtout malveillant pour les jeunes gens au teint frais et coloré, qui accompagnaient, dans ces occasions, leurs mères ou leurs sœurs.

Évidemment, il était impossible que ces jeunes gens pussent voir les beaux yeux bruns de Clara sans devenir amoureux d’elle, et la conséquence en était que Robert était furieux contre tous ses rivaux. Il était jaloux de tout ce qui approchait sa bien-aimée. Il était jaloux d’un vieux fat de quarante-huit ans, d’un baronnet dont les favoris tiraient sur le rouge, des vieilles femmes du voisinage que Clara Talboys visitait et soignait, et des fleurs de sa serre auxquelles elle