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LE SECRET

Ce n’était pas ainsi qu’elle avait eu l’intention de soutenir la terrible lutte engagée entre elle et Robert Audley. Elle avait dédaigné de telles armes, et pourtant aucune des ruses inventées par elle n’aurait pu la servir mieux que cette explosion de douleur véritable. Son mari en ressentit le contre-coup jusqu’au fond de l’âme. Il en fut terrifié, et sa forte intelligence d’homme en devint confuse, égarée. Le côté faible de sa bonne nature reçut le choc, car sir Michaël Audley fut frappé dans son affection pour sa femme.

Ah ! que Dieu protège la faiblesse de l’homme fort pour la femme qu’il aime. Que le ciel le prenne en pitié quand la malheureuse l’a trompé, et vient tout en larmes se jeter à ses pieds pour implorer son pardon en le torturant par le spectacle de ses angoisses, de ses sanglots et de ses gémissements. Qu’on lui pardonne, si, rendu fou par cette vue, il hésite un instant et s’avoue prêt à tout oublier et à reprendre sous son égide celle que la voix de l’honneur lui crie être indigne de pardon. Pitié pour lui, pitié pour lui. Les remords les plus poignants de la femme, quand elle se voit sur le seuil de cette maison, où peut-être elle n’entrera plus jamais, ne sont pas à la hauteur de la douleur du mari qui referme la porte sur cette figure familière et suppliante. L’angoisse de la mère qui ne peut plus revoir ses enfants est moindre que celle du père qui dit à ces mêmes enfants : « Pauvres petits, dorénavant vous n’aurez plus de mère. »

Sir Michaël Audley quitta son fauteuil, tremblant d’indignation, et prêt à se battre immédiatement avec quiconque avait chagriné sa femme.

« Lucy, dit-il, Lucy, j’insiste pour que vous me disiez qui vous a fait de la peine. Parlez : le coupable, quel qu’il soit, me rendra compte de sa conduite. Venez, mon amour, dites-moi de suite ce que c’est. »

Il se rassit et se pencha sur la figure inclinée à ses