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adolphe brassard

les pensées qui me faisaient penser, l’intelligence qui était mienne, la bouche, les yeux qui étaient miens, c’est le même cœur et qui comprend pareillement, c’est le frère de ce que j’étais sur la terre. Je m’en approche, il me sourit de mon sourire ; il me parle dans mon langage ; ses gestes sont mes gestes, mais quelque chose nous sépare. J’offre tout, tout en expiation : mes souffrances dont je tais la révolte, mes peines et mes chagrins, et mon deuil sans nom qui me vient, infiniment lourd, du monticule boisé. Et je sens le souffle divin qui m’enveloppe de paix. Mon âme, prête à s’élancer vers la vraie vie, se penche sur mon cœur qui trébuche et attend, compatissante.

Dans cette quiétude que rien, plus rien ne peut déranger, ma main trace, trace mes dernières pensées.

Quelle sera la moisson qui poussera de toute cette mort, de toute cette haine que les hommes viennent de finir d’enfouir avec soin dans le sol nourricier