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— C’est ça, sauvage impoli, place-moi après les chiens. Quel enterrement tu organises là ? Si tu nous blagues mon mangeur de suif, je te place près d’un feu, et tu vas fondre comme une chandelle.

— Toé pas faire ça, toé avoir besoin de Kélano, fit l’Esquimau dans un sourire qui montrait ses dents jaunes.

— Mais enfin, pourquoi arrêter si à bonne heure, s’impatienta Thomas ?

— Toé attendre, pas longtemps, pi ouère. Vent partout. Brrr… Vent casser arbres comme allumettes… Vent tuer bête, vent charroyer loups en l’air, zou-ou-ou !

— Bon, les loups vont passer dans l’air comme un volier d’alouettes. T’es fou Kélano.

— Kélano pas fou. Toé fin ? écoute…

Un sifflement venait de se faire entendre. À l’horizon, de gros nuages noirs zébrés de violet foncé, s’élevaient en s’entre-croisant dans le ciel, et, tels des écheveaux fantastiques de quelque toison de bête fabuleuse, tissaient d’épaisses écharpes funèbres, tout effilochées, qui attachaient rapidement la terre au firmament.

Un silence pesant suivit le sifflement. On entendait le hurlement des loups effrayés. Par vagues rapides, la noirceur emplissait les vallons et recouvrait les collines, et bientôt ce fut l’obscurité complète.

— La tempête, fit Thomas en se signant, la terrible tempête polaire !

— Hein ? Kélano pas fou… Kélano saouère tempête y venir…

— Brave Kélano !