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entra, mais en voyant cet homme au visage fermé sous son affabilité, elle vit tout s’obscurcir. Ainsi en sera-t-il donc toujours ! Elle entrevit étape par étape, ce que serait leur vie. Elle s’écoulerait monotone jusqu’à ce que la vieillesse vienne la détruire, pour en même temps briser de ses mains débiles les liens puissants qui les unissaient tous deux. La vision était trop lugubre, Alix la chassa avec effroi, et trouva un sourire pour demander à Paul :

— Vous avez fait un bon voyage ?

— Satisfaisant au point de vue affaires, je vous remercie.

— Et vos impressions sur cette partie de la province ?

— Très bonnes. Cette contrée mérite d’être visitée.

Ces phrases étaient vides, et n’en promettaient pas d’autres plus intéressantes. Si cette facilité d’expression qui alimentait leurs conversations et les rendait supportables, allait faire faillite, que deviendraient-ils ? Ils eurent tous deux l’intuition que si les banalités présidaient à leurs courts entretiens, c’en était fait de leur misérable vie conjugale à laquelle ils tenaient ardemment sans se le dire. Contre toute espérance, Alix attendait quelque chose, elle ne savait au juste, qui chasserait le gros nuage. Et Paul, également, s’accrochait à tout ce qui pouvait devenir un espoir, même problématique, pouvant améliorer son sort. Mais en attendant que se dissipât le brouillard qui leur cachait la rive, il fallait à tout prix maintenir leur barque à flot. Et pour se distraire du danger des remous où l’embarcation évoluait, les passagers devaient se parler aimablement.