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LA VIE D’UN ARTISTE

bandeau rouge comme les hosties miraculeuses des légendes.

On voyait aussi là des têtes de chouans aux faces d’éperviers, dont les yeux fauves luisent à travers les longs cheveux emmêlés.

Les voilà, ces costumes où les ors et les paillettes d’azur scintillent sous les tulles ; ces rouges voilés qui prennent des tons d’aurore, et toutes ces couleurs puissantes ou tendres, variées dans une harmonie sacerdotale.

La foule attendait.

La châsse de la sainte allait sortir.

Les arbres épandaient sur la solennité cette demi-obscurité de haute futaie qui enveloppait les cérémonies celtiques.

D’orageux nuages, qui peu à peu s’étaient amoncelés dans le ciel, assombrissaient encore l’austérité de ce jour. Les couleurs vives s’exaltaient par elles-mêmes, mais les pâleurs blêmissaient, plus mystiques, sur les visages des vierges maladives, tandis que le hâle des chouans se plombait d’un gris sinistre.

Tout respirait l’effroi sacré.

Tout à coup, dans le silence, la cloche tinte, grêle et claire.

Tous se lèvent.

On se presse des deux côtés du chemin laissé libre.

Des milliers de coiffes blanches se serrent, s’agglomèrent entre les arbres, en une vaste étendue froide comme une nappe de neige et qui ondule sous le ciel lourd d’orage.

Et voici, dans cette foule, que l’un à l’autre, deux mille cierges s’allument, embrasant de leurs roses reflets les blancheurs sombres ; pureté céleste où crépitait en légers tourbillons un firmament de petites flammes ardentes comme les âmes de ce champ de prière.