Page:Breton - Un peintre paysan, 1896.djvu/194

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82 POÉSIE crois aussi qu’il ne faut pas trop discuter avec soi-même pendant la production, cela refoule- rait l’intuition inspiratrice. Aucun calcul, aucun raisonnement ne peut remplacer la vision, seule condition féconde. Car toute pensée a son image et il faut regarder dans son cerveau comme dans la nature. Les mots peignent les idées comme le pinceau peint un paysage. Donc, sans inutiles efforts, il suffit de sur- veiller chaque mot ; d’avoir en soi une balance imaginaire ; de mettre l’idée dans un des pla- teaux, son expression dans l’autre, et de peser consciencieusement. Il est nécessaire que les deux aient juste le même poids. Mais il faut, avant tout, le don. J’ajouterai que ce n’est pas au moment où l’on compose ses vers sous l’émotion directe, qu’il faut les juger. On peut être très impres- sionné, se croire inspiré et ne rencontrer que des expressions faibles ou outrées. C’est surtout le souvenir d’une impression qui en amène l’expression intense et vraie. Sans la possession de soi-même on ne peut pas juger la propriété des termes et il faut l’éloi- gnement pour embrasser les ensembles. L’inspiration n’est autre que l’impression d’abord ressentie, ramenée a l’ame par le sou- venir sous forme de vision.