Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/184

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vent il se trouvait en détresse dans des pays lointains, d’où il revenait à grand’peine. C’est ainsi que se trouvant à Londres, le ventre creux, il se fit payer à dîner par un sergent recruteur de l’armée anglaise, qui voulait à toute force l’incorporer dans un des régiments de Sa Gracieuse Majesté. Et, de fait, Jean Richepin eût été un magnifique highlander ; et son physique, joint au prestige de l’uniforme, eut exercé dans le Royaume-Uni de cruels ravages. Sa destinée le réservait à des triomphes d’un ordre plus relevé. Il publia la Chanson des Gueux et, le lendemain, son nom volait sur toutes les lèvres. Ce qu’il exaltait dans ce livre, qui est le plus sincère, sinon le plus complet qu’il ait écrit, c’était son propre rêve de liberté. Il chantait les miséreux, il les réconfortait avec une cordialité fraternelle. On vit qu’il connaissait ce dont il parlait, et qu’il était allé au fond de son sujet. Il ne s’agissait plus d’une pâle imitation de la vie réelle. Richepin apportait dans ses tableaux une furieuse audace d’expression qui lui valut l’ardente sympathie de la jeunesse et la réprobation du monde académique. Il éprouva la sévérité des lois : il fut frappé et son recueil lacéré par les mains des juges. Aujourd’hui, nous sommes habitués à tous les libertinages, et la rigueur dont il subit les effets nous semble odieuse. Elle lui fut d’ailleurs profitable, car elle surexcita en sa faveur la curiosité publique. On s’arracha son ouvrage et l’on s’aperçut qu’il renfermait, à côté de pages douteuses, des chefs-d’œuvre