Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/19

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saveur en la rendant plus violente, en l’exaspérant. Nous saisissons en ce chapitre, comme en vingt autres que nous aurions pu choisir, le secret de sa manière. C’est l’outrance dans le fond et dans la forme, une plaisante déviation de la vérité. Les hommes et les choses qu’il raille apparaissent en son style, comme en une boule de jardin, grimaçant en long ou en large, selon son caprice. Il est doué, à un degré éminent, du don caricatural. Mais ce n’est pas un caricaturiste indolent, ni indifférent. Il est passionné. Il ne rit que du bout des lèvres, il ricane ; il montre les dents. M. Bergerat n’est tout à fait excellent que lorsqu’il s’échauffe ; et comme il s’échauffe de préférence sur les questions qui mettent en jeu son intérêt personnel, il en résulte que les meilleures pages qu’il ait produites sont celles où il parle de lui-même.

Cet intransigeant, ce révolté s’est adouci. On raconte que, rendant visite un jour à M. Lockroy, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, il le pria d’interposer son autorité pour faire jouer, soit à la Comédie-Française, soit à l’Odéon, le Capitaine Fracasse. Le ministre se déroba à ces sollicitations ; mais, voulant offrir à l’écrivain, qu’il aimait beaucoup, une compensation, il se déclara prêt à lui accorder n’importe quelle marque d’estime, de celles qui dépendaient de lui, exclusivement. M. Bergerat s’écria brusquement : « Décorez-moi ! » Et le décret parut le lendemain à l’Officiel. Authentique ou non,