Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/20

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l’historiette est jolie ; elle nous ouvre un coin de l’âme du chroniqueur. Au moment où M. Bergerat sollicitait ce « hochet », il n’oubliait pas les facéties qu’il lui avait prodiguées. Quand, un peu plus tard, il se soumettait à la corvée des visites académiques, il se souvenait des brocards impitoyables dont il accablait les candidats. Il savait à quel danger l’exposait ce revirement, et qu’un jeune Bergerat, frais éclos dans la presse, pouvait se servir de ses propres verges pour le fouailler. Que voulez-vous ? M. Bergerat se sentait las, las de ses pirouettes et de ses lazzis, las de ce métier de danseur de corde qui saute pour amuser la galerie, las de l’article à faire, las de cette pierre du journalisme qu’il était obligé, depuis tant d’années, de rouler chaque matin. S’il s’obstinait à chercher au théâtre le succès qui le fuyait, je veux bien admettre qu’il y fût poussé par un sincère amour de l’art dramatique, mais il espérait aussi, n’en doutez pas, y trouver la fortune matérielle et tous les avantages qui en découlent : le repos d’esprit, l’indépendance, le loisir de ne travailler qu’à ce qui vous plaît et que quand cela vous plaît. Il me dit une fois : « Il arrive un âge où l’on a besoin de gloire ! » Et il me sembla que cette parole était profonde et touchante. Oui ! il est un âge où les ardeurs combattantes tombent avec les cheveux, où le marin aspire au port après les orageuses traversées. Les comédiens fatigués s’achètent, avec leurs économies, une maisonnette, et se retirent à Nemours, pour y