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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

pendant de la fortune en même temps qu’il était l’intelligence la plus sûre et la plus subtile, et le plus éloquent qu’on eût jamais entendu. « On pourrait comparer Brasidas ou tel autre à Achille, Périclès à Nestor et à Anténor, et il est d’autres personnages entre lesquels il serait facile d’établir de semblables rapprochements. Mais on ne trouverait personne, soit chez les anciens, soit chez les modernes, qui approchât en rien de cet homme, de ses discours, de ses originalités » (221, C).

Cependant l’analyse du Banquet n’est pas achevée quand on a déterminé l’objet et montré l’unité du dialogue. Il reste encore à expliquer la forme particulière que l’auteur lui a donnée et surtout la manière si originale dont il a traité le portrait de Socrate. Nous touchons ici à une des questions les plus intéressantes que soulève l’interprétation du Banquet. Si nous ne nous trompons, Platon s’est proposé un double but. En même temps qu’il peignait le portrait de Socrate, il a voulu l’opposer à la caricature qu’Aristophane en avait donnée, et ainsi le Banquet, en même temps qu’il traite une haute question de philosophie morale, est une réponse aux Nuées.

C’est pour marquer cette intention que Platon a fait figurer Aristophane parmi les convives d’Agathon. Nous avons déjà relevé de nombreuses marques de malveillance répandues dans tout l’ouvrage. Le poète comique, comme d’ailleurs tous les orateurs de la première partie, est traité en adversaire. La même intention reparaît encore dans la dernière partie. Platon nous montre Aristophane, après le discours de Socrate, disposé à lui répondre et empêché seulement par l’irruption soudaine d’Alcibiade ivre. C’est d’une façon analogue que dans le Protagoras (347, B), au moment où Hippias veut donner une explication inutile, qu’Alcibiade le fait taire sans façon et le renvoie à un autre jour ; n’est-ce pas une manière de nous rappeler la présence de l’adversaire, d’attirer notre attention sur lui comme pour nous avertir que c’est à lui qu’on va répondre ? Au moment où Socrate va s’asseoir à côté d’Agathon, Alcibiade lui reproche plaisamment de préférer le voisinage de ce beau jeune homme à celui d’Aristophane ou de quelque autre bon plaisant ou qui s’applique à l’être, οὐ