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PHILOSOPHIE ANCIENNE

même temps que Parménide : les célèbres arguments de ce philosophe contre le mouvement sont aussi un jeu, mais de son propre aveu, c’est un jeu sérieux, qui a pour objet de défendre les thèses de Parménide, et de confondre les adversaires de l’Éléatisme en les forçant d’aboutir à des conséquences encore plus absurdes que celles qu’ils reprochaient à la doctrine du Maître. Cette déclaration du vieux philosophe, placée entête du dialogue, ne nous autorise-t-elle pas à croire que Platon va, lui aussi, employer une méthode analogue, au moins dans une partie de son ouvrage, et réfuter par l’absurde quelques-uns de ses adversaires ? Il restera seulement à chercher quels sont ces adversaires et quelle est exactement la thèse qu’il prétend combattre. Il est vrai que Zénon ajoute que ce n’est pas seulement dans l’intérêt de la vérité et par amitié pour son maître qu’il a entrepris cette discussion, c’est aussi par amour de la dispute, φιλονεικία (128, D). Mais rien n’empêche de supposer que par ces paroles Platon nous avertit délicatement qu’en écrivant son dialogue il n’est pas dupe de ses propres arguments et qu’il a cédé à un penchant tout semblable. Il avait affaire aux disputeurs les plus subtils, aux dialecticiens les plus retors qu’on ait peut-être jamais vus ; pourquoi n’aurait-il pas voulu prouver qu’il était de taille à se mesurer avec eux et même à les surpasser en virtuosité et en subtilité ? Nous savons par ailleurs que Platon ne se faisait pas scrupule de retourner contre ses adversaires leurs propres arguments et de les combattre avec leurs armes : déjà, dans l’Euthydème, il met en scène des disputeurs qui se condamnent eux-mêmes par l’absurdité de leurs affirmations. Sans aucun doute, c’est à des adversaires plus sérieux qu’il s’attaque dans le Parménide, mais peut-être est-ce au fond le même principe et la même doctrine essentielle que, sous des formes très différentes, mais toujours par des moyens dialectiques, il prend à partie dans le nouveau dialogue.

Le Parménide se compose de deux parties très distinctes. Dans la première, Platon accumule contre sa propre doctrine, la théorie des Idées, les plus fortes objections qu’on lui ait jamais opposées ; la seconde est présentée comme un exercice logique purement formel, pédagogique ou propédeutique,