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LA THÉORIE PLATONICIENNE DE LA PARTICIPATION

genre en deux parties opposées, puis l’une d’elles, celle qu’on a inscrite à droite en deux autres parties opposées, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’on trouve la définition cherchée. Appliquant cette méthode à l’Idée du Sophiste, Platon montre que le Sophiste appartient à un grand nombre de genres différents. Il est un chasseur salarié d’hommes jeunes et riches, un trafiquant des connaissances qui se rapportent à l’âme, un débitant en détail, puis un vendeur de première main de ces mêmes connaissances, un athlète s’exerçant dans l’art de discuter, un purificateur de l’âme qu’il débarrasse de ce qui s’oppose à l’acquisition de la science, enfin un faiseur de simulacres. Il participe donc à plusieurs Idées. Nous voyons par cet exemple comment un même être peut réunir les qualités les plus distinctes, comment plusieurs genres se confondent en lui ; mais, arrivé à cette dernière définition, fabricant de fantômes ou de simulacres, Platon se trouve brusquement arrêté. Un simulacre représente ce qui n’est pas, il est faux et mensonger, il implique l’erreur ; mais l’erreur est impossible, car dire ce qui n’est pas, ce serait ne rien dire. C’est un axiome incontesté dans l’école de Parménide et accepté par tous les contemporains, que jamais on ne comprendra que ce qui n’est pas est. Ce qui n’est pas ne saurait donc en aucune façon être exprimé. Dans une discussion qui rappelle celle du Parménide, l’étranger Éléate montre qu’on ne saurait sans se contredire attribuer au non-être l’unité ou la pluralité (238, C), l’être au non-être, et que cependant on le lui attribue par le fait même qu’on lui donne un nom ou qu’on en parle. En lui-même il échappe à la science, à l’opinion, au langage : comment donc dire que le Sophiste exprime ce qui n’est pas ? Tel est l’asile ténébreux et inviolable où se réfugie le Sophiste et d’où il défie ironiquement tous ses contradicteurs qui ne sauraient avoir aucune prise sur lui.

Toute cette dialectique nous étonne un peu aujourd’hui, et nous avons de la peine à comprendre l’importance que Platon y attache. Il faut songer cependant que la formule du principe d’identité donnée pour la première fois par Parménide avait fortement saisi les esprits et s’était imposée à tous ; c’est l’acte par lequel la raison humaine prenait en quelque