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LA THÉORIE PLATONICIENNE DE LA PARTICIPATION

toutes les « réalités », c’est-à-dire toutes les Idées, et il y a, même dans le monde intelligible, autre chose que les Idées, s’il est vrai que, selon Platon, l’intelligence et l’âme, malgré leur parenté étroite avec les Idées, en sont cependant distinctes. C’est de l’être ainsi entendu qu’il a été question dans toute la discussion précédente, et de même que l’être désignait tout à l’heure le chaud ou le froid, l’un ou le multiple, le corporel ou l’incorporel, il désigne ici toutes les réalités sans distinguer entre elles. Ainsi encore un peu plus haut, examinant les rapports de l’être et du tout[1] (τὸ ὃλον), il fait voir que si l’être n’est pas un tout, il y a quelque chose, le tout, qui existe en dehors de l’être. Par suite l’être est incomplet, il se manque à lui-même, puisqu’il laisse quelque chose en dehors de lui. [Καὶ μὴν ἐάν γε τὸ ὂν ᾖ μὴ ὅλον διὰ τὸ πεπονθέναι τὸ ὑπ’ ἐκείνου πάθος, ᾖ δὲ αὐτὸ τὸ ὅλον, ἐνδεὲς τὸ ὃν ἑαυτοῦ ξυμβαίνει (245, C).] La preuve que Platon l’entend bien ainsi, c’est que, quand la discussion prend fin, nous voyons reparaître les expressions : le tout et l’être.

On voit par là que Platon, comme Parménide lui-même et tous les autres philosophes qui ont parlé de l’être, a toujours en vue l’être total ou l’ensemble de l’univers. Il faudrait d’ailleurs s’entendre sur la signification des mots ποιεῖν, πάσχειν, κινεῖν et κινεῖσθαι. Apelt, dans son excellente édition du Sophiste (p. 151, note 10), remarque avec beaucoup de raison que Platon n’exprime pas exactement sa véritable pensée. Il ne croit pas en réalité que ποιεῖν désigne une action véritable ou πάσχειν une passion[2]. Les Idées qu’il déclare passives et mobiles en tant qu’elles sont connues sont en réalité impassibles et immuables. Mais il se conforme ici à l’usage de la langue : il affirme que l’être est passif en tant que connu et actif en tant que connaissant, parce que les deux verbes sont l’un actif, l’autre passif, c’est-à-dire contraires. La preuve qu’il s’agit ici d’une vue toute provisoire et extérieure, c’est, indépendamment des raisons invoquées par Apelt, qu’un

  1. 249, D : τὸ πᾶν ἑστηκὸς ἀποδέχεσθαι… ὅσα ἀκίνητα καὶ κεκινημένα, τὸ ὂν τε καὶ τὸ πᾶν ξυναμφότερα λὲγειν. Ce sont à peu près les mots mêmes de Parménide : ἕν καὶ πᾶν.
  2. Des deux interprétations proposées par Apelt (Sophiste, Lipsiæ, 1877, p. 140, note 15), c’est la seconde qui nous paraît comme à lui la plus acceptable.