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PHILOSOPHIE ANCIENNE

peu plus haut (247, E), définissant l’être par la puissance d’agir ou de pâtir, Platon s’est réservé le droit d’exprimer ailleurs une autre opinion : ἴσως γὰρ ἂν εἰς ὕστερον ἡμῖν τε καὶ τούτοις ἕτερον ἄν φανείη. En supposant même qu’on prenne ces termes au sens littéral, il s’agirait non pas d’une causalité efficiente et active au sens ordinaire du mot, mais d’une causalité purement idéale, restreinte uniquement à l’acte de connaître ou d’être connu. On n’aurait pas le droit de conclure que les Idées en général sont des causes actives. De plus il s’agit ici non d’identification, mais de participation, c’est ce qu’atteste avec évidence l’expression παρεῖναι, qui désigne la présence d’un attribut et non pas l’identité du sujet et de l’attribut : le même mot est employé dans le Phédon pour exprimer la simple participation. Par là Platon entend que l’être dont on parle ne s’identifie pas entièrement avec les attributs qu’on affirme de lui, mais s’unit seulement à eux : « unir sans confondre », voilà précisément ce qui constitue la participation. L’être, dit en propres termes Platon quelques lignes plus loin, participe au mouvement et au repos si étroitement qu’il doit être nécessairement ou en mouvement ou en repos. Cependant on peut reprendre ici l’argument déjà invoqué à propos du chaud et du froid et montrer que l’être ne se confond ni avec le mouvement ni avec le repos, puisque, alors, ces deux contraires irréductibles, le mouvement et le repos, se confondraient en tant qu’identiques à l’être. Tout en participant du mouvement et du repos, l’être est donc une troisième chose ; il est à part : le mouvement et le repos ne résultent pas de sa nature, ils s’y ajoutent. Le lien qui les unit est, comme nous dirions aujourd’hui, un lien synthétique et non analytique. La formule platonicienne signifie donc, non pas, comme on l’entend si souvent, que l’Idée désignée par le mot « être » est douée par elle-même ou essentiellement de mouvement, d’âme, de sagesse et d’intelligence, mais simplement que l’être, pris en général, participe au mouvement, à l’intelligence, à la vie et à la pensée, qu’on peut en affirmer tous ces attributs, ou en d’autres termes qu’il pense, qu’il vit et qu’il connaît. Le même texte signifie aussi que le mouvement, l’intelligence, l’âme et la pensée ne sont pas exclus de l’être total, maintenus en dehors de lui comme le voudrait