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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

dont les démangeaisons deviennent plus vives à mesure qu’ils essayent de les faire disparaître. On le voit, pour réfuter les partisans de la morale du plaisir, Platon n’invoque pas, comme l’ont fait tant de modernes, des principes que l’adversaire ne reconnaît pas. Il ne leur reproche pas de ne pas rendre compte de notions morales dont, en réalité, ils contestent la valeur. C’est uniquement sur une loi de la nature humaine, constatée par l’expérience et l’observation psychologique, qu’est fondée toute cette discussion.

Dans la République, si l’on excepte les deux premiers livres consacrés à poser le problème, ce ne sont plus des personnages qui plaident une cause, mais des doctrines qui s’opposent l’une à l’autre. Il n’y a plus de place pour l’éloquence, et, malgré la forme du dialogue, nous sommes en présence d’une exposition continue. On peut y trouver quelques prolixités et penser que le philosophe s’égare en de bien longs circuits ; mais il faut songer que c’est la première fois dans l’histoire qu’on écrivait méthodiquement sur de tels sujets ; il est d’ailleurs aisé de retrouver le fil des idées et de le suivre à travers les méandres de la discussion.

Pour prouver que l’homme juste est heureux, Platon, suivant la méthode que nous avons déjà indiquée, cherche d’abord le bonheur dans l’État. L’État est heureux ou prospère, s’il est bien ordonné, c’est-à-dire si chaque citoyen accomplit régulièrement et sans jamais changer la fonction qui lui est assignée et qui est celle à laquelle sa nature le rend le plus propre. L’État, au contraire, est malheureux s’il est troublé, c’est-à-dire si chaque citoyen peut suivre son caprice, exercer aujourd’hui une fonction et demain une autre, agir à tort et à travers et n’être jamais fixé dans le même emploi. La démocratie offre un exemple de cette bigarrure, la loi ayant perdu toute autorité et chaque citoyen ayant la licence tour à tour de remplir toutes les fonctions. Mais de tous les gouvernements le plus misérable est la tyrannie, parce qu’alors c’est du caprice d’un seul, toujours variable et toujours en contradiction avec lui-même, que dépend tout le gouvernement. Comparons maintenant l’individu à l’État ; pour l’un comme pour l’autre, le bonheur résultera de l’ordre, c’est-à-dire de la subordination de l’infé-