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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

trop vite de l’unité du genre à la pluralité indéfinie des individus.

Pour distinguer les différentes espèces de plaisirs, Platon entreprend une analyse psychologique très minutieuse et très approfondie. C’est une des parties les plus intéressantes et les plus originales de son œuvre. Il faudra nous borner à en indiquer les points essentiels.

Il convient, d’abord, de distinguer deux sortes de plaisirs, ceux du corps et ceux de l’àme. Le plaisir du corps est, on l’a vu, un mouvement qui se produit lorsque l’harmonie est établie. La douleur apparaît dans le cas contraire. Toutefois le mouvement corporel ne devient un plaisir que s’il arrive jusqu’à l’âme, c’est-à-dire s’il est senti ou aperçu ; il entre ainsi, comme on l’a vu tout à l’heure, dans tout plaisir, même corporel, une part d’intelligence ou de conscience, et en ce sens, tout plaisir est un plaisir de l’âme. Il vaut mieux toutefois réserver ce nom aux états tels que l’espérance ou la crainte : ils sont relatifs aux plaisirs corporels, — car on éprouve, par exemple, l’espérance de boire, — mais ils appartiennent en propre à l’âme, parce qu’ils impliquent la mémoire. La mémoire est la conservation d’une sensation. D’une manière générale il n’y a pas de désir du corps, le désir sous toutes ses formes impliquant une privation, et étant la représentation d’un état futur qui n’est pas encore réalisé. Une telle anticipation n’est possible que par le souvenir, et les désirs de l’âme précèdent les plaisirs du corps. Il peut se faire d’ailleurs qu’un même sujet éprouve à la fois une douleur corporelle, par exemple s’il a soif, et un plaisir de l’âme, s’il espère être bientôt désaltéré. Les plaisirs de l’âme ne sont pas seulement, aux yeux de Platon, les plaisirs du corps transposés en quelque sorte par la mémoire et l’imagination. Il y a encore les plaisirs de l’âme, en ce sens qu’ils se produisent en elle indépendamment de toute relation avec le corps (Phil., 47, C ; 50, D).

À cette distinction entre les plaisirs de l’âme et ceux du corps s’en ajoute tout aussitôt une autre, celle des plaisirs vrais et des plaisirs faux ; car un plaisir est toujours réel dès l’instant qu’il est senti ; mais on peut dire aussi de l’opinion fausse qu’elle est un état réel de l’âme, même quand elle n’a