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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

un plus haut degré que chez les malades. L’homme qui a la fièvre est plus sensible que tout autre au chaud et au froid et à la soif. Celui qui souffre de la gale éprouve une jouissance très vive en cherchant à faire disparaître son mal par la friction. Ceux qui recherchent ces sortes de joies racontent que leur intensité leur fait perdre la raison ; ils poussent des cris extravagants et se sentent presque défaillir et mourir. N’est-ce pas dire, en d’autres termes, que le plaisir est lié à un état défectueux de l’organisme, qu’il aboutit à la destruction ou à la ruine, enfin qu’il est un mal ? Ce qu’il y a de vrai dans cette opinion paradoxale, c’est que beaucoup de plaisirs, comme Platon l’a démontré dans le Gorgias et dans la République, entraînent avec eux certaines douleurs qui en sont les conditions, et qui s’accroissent en même temps qu’eux.

À la distinction des plaisirs vrais et des plaisirs faux, il faut ajouter, en effet, la distinction des plaisirs purs et des plaisirs mélangés, et il est aisé de voir que ces derniers se ramènent aux plaisirs faux. Tels sont les plaisirs comme la faim ou la soif et tous ceux qui ont pour condition un désir, c’est-à-dire une privation ou une souffrance. Ils ne sont que la cessation de cette souffrance et sont d’autant plus grands que celle-ci est plus vive. Les plaisirs de ce genre sont donc des douleurs. C’est folie de vouloir, comme le disent quelques-uns, accroître ses désirs pour augmenter ses plaisirs, car c’est augmenter son mal et travailler à sa propre ruine. Il en est ainsi, non seulement de la plupart des plaisirs corporels, mais encore d’un grand nombre de plaisirs de l’âme. Tels sont les plaisirs qui accompagnent la colère, les lamentations, l’amour, l’ambition et la plupart des passions. Il faut nous borner à indiquer en passant la subtile et délicate analyse où Platon montre dans le plaisir que nous font éprouver la comédie ou la tragédie un mélange de joie et d’envie, c’est-à-dire de douleur (50, C). Mais, s’il y a beaucoup de plaisirs faux ou impurs, il y a aussi des plaisirs purs et vrais ; et c’est ici que Platon se sépare d’Antisthène. Les plaisirs purs sont ceux qui ne sont précédés d’aucun désir et dont la disparition n’entraîne aucune souffrance. Tels sont, parmi les plaisirs corporels, ceux qui sont produits par une bonne odeur, ou