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LA MORALE DE PLATON

par de beaux sons, ou par la vue de belles formes. Tels sont, parmi les plaisirs de l’âme, ceux qui accompagnent la connaissance des sciences. On dira peut-être qu’il est pénible de perdre une science et de s’apercevoir qu’on l’a oubliée ; mais un tel sentiment n’apparaît qu’à la suite d’une réflexion (52, B) ; l’oubli d’une science n’a par lui-même rien de douloureux, et c’est uniquement de jouissance immédiate qu’il s’agit ici. Il y a donc des plaisirs qui ne sont pas purement négatifs, mais réels et vraiment positifs. À la vérité ces plaisirs sont moins vifs que les plaisirs mélangés, car ils supposent toujours la mesure et l’harmonie. Et si on considère la qualité plutôt que la quantité, et c’est ce qu’il faut faire quand on veut connaître la nature d’une chose, on s’assurera que les plaisirs purs sont bien plus réels que les autres. Un peu de blanc très pur est plus blanc que beaucoup de blanc mêlé à du noir (53, B).

Telle est la doctrine formulée pour la première fois par Platon et qu’Aristote reprendra en la transformant. Toutefois le plaisir même le plus positif n’est toujours, selon Platon, qu’un mouvement ou un phénomène. Il appartient à la catégorie des choses qui, comme la construction des vaisseaux, n’existent pas pour elles-mêmes, mais en vue d’une fin ; il n’est qu’un moyen, qu’un changement, un passage d’un état à un autre. La réalité qui lui appartient est toute relative, il n’est pas vraiment un être, οὐσία, ou une qualité, ποιότης. C’est pourquoi on ne saurait dire qu’il est un bien, car on ne peut donner ce nom qu’aux choses qui existent par elles-mêmes. Aristippe s’est moqué du monde lorsqu’après avoir prouvé que le plaisir est un phénomène, il a conclu qu’il est un bien (54, D). Nous sommes ici au cœur du système. La théorie définitive de Platon sur le plaisir peut se résumer ainsi : Le plaisir, contrairement à ce que disent les cyniques, est quelque chose de réel et de positif, et cependant, pris en lui-même, il n’est qu’un phénomène et non un être, un moyen et non une fin ; et c’est pourquoi il n’est pas le bien. Sur ce dernier point Aristote se séparera de son maître ; il fera voir que le plaisir a encore plus de réalité que ne l’a cru Platon, parce qu’il n’est pas un simple changement ou un devenir ; il est une qualité ou un être parce qu’il accompagne l’acte