Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

353] C’est pourquoi il déclare que Dieu est chose étendue. Comment concilier une telle conception avec la conscience ou la liberté, en quelque sens que ce soit ? Il convient cependant avant tout de s’entendre sur le sens des mots qui a varié aux différentes époques de l’histoire. Les Anciens entendaient par corps ce qui est visible et tangible ; si on donnait encore aux mots le même sens, il faudrait dire que le Dieu de Spinoza est incorporel, car très certainement l’étendue qui le constitue ne tombe pas sous le sens. Spinoza proteste contre ceux qui lui reprochent de s’être représenté Dieu comme une masse corporelle. Il est vrai que depuis Descartes les mots corps et matière ont pris un sens nouveau. Le corps et la matière sont pris pour une même chose, ce que n’avaient pas cru les Anciens, et se définissent tous deux par l’étendue. Mais l’étendue, en tant que substance ou en tant qu’attribut divin, n’est pas celle que les sens perçoivent ou que l’imagination divise à son gré ; elle est infinie et indivisible ; et l’entendement seul peut la concevoir. Spinoza convient à diverses reprises qu’il est fort difficile de la concevoir ainsi ; mais il n’y a peut-être pas moins de différence entre cette étendue purement intelligible et le corps sensible qu’entre la pensée ou la volonté de Dieu et la pensée ou la volonté de l’homme. Toutefois il ne faudrait pas essayer d’atténuer la doctrine de Spinoza ; ce qu’il a voulu dire et ce qu’il a fort bien dit, c’est que, rien n’existant en dehors de Dieu, et la matière étant d’autre part une réalité dont il ne lui vient pas à l’esprit qu’on puisse douter, la matière ou étendue existe en Dieu, elle est un de ses attributs. Dieu est chose étendue, dit-il expressément, et tous les corps sont des modes de l’étendue divine. Il reste seulement à savoir si, en s’exprimant ainsi, Spinoza a cru qu’une telle conception excluait de la nature divine la conscience de soi, la distinction d’avec le monde, et la liberté en quelque sens que ce soit. Les textes qu’on a lus ci-dessus établissent clairement qu’il n’a pas aperçu cette incompatibilité. Nous pouvons ajouter qu’il n’est pas le seul philosophe qui soit [354]